Comment plaider ?
Il est treize règles, qu ‘il faut savoir scrupuleusement appliquer pour être un bon avocat.
Maxime Halbrand, chroniqueur du siècle passé, les détaille avec un brin de malice :
4- Qu’il n’ait rien de farouche ni d’irrégulier dans les yeux et le regard,
5- Que sa pose devant les magistrats soit descente et respectueuse, et que sa mise ne laisse voir ni recherche, ni négligence,
6- Qu’en parlant, il s’abstienne de décomposer les traits de son visage par des contorsions de sa bouche et de ses lèvres,
7- Qu’il évite les grands éclats de voix glapissante,
8- Qu’il sache régler ses intonations, de manière à les tenir à une égale distance du grave et de l’aigu; que sa voix soit pleine et sonore et offre la qualité d’un beau discours,
9- Qu’en déclamant, il s’attache à une exacte prononciation,
10 – Qu’il observe de ne pas trop hausser la voix ni de la déprimer,
11 – Qu’il ait soin de tenir son style en harmonie avec le sujet qu’il traite, et qu’il évite le ridicule de mettre de l’emphase oratoire à des objets de modique importance,
12 – Qu’il se garde de donner à sa tête et à ses pieds une agitation déplacée,
13 – Enfin, que ses mouvements soient combinés et appropriés au discours, en évitant avec soin une gesticulation désordonnée et triviale.
S’il fallait pour plaider, réunir toutes ces qualités , il n’y aurait pas à Paris et même ailleurs, beaucoup d’avocats.
Une femme charmante, visitant le Palais de justice de Paris, disait n’avoir jamais tant vu de bancroches et de contrefaits et que la salle des Pas-Perdus rappelait assez, par la plastique de ses habitués en robe, la Cour des Miracles.
Il était même, il y a quelques années, un avocat si petit, qu’un Président le voyant plaider, lui clamait de bonne foi : » Levez- vous Maître, on ne plaide pas assis ! ».
Tout peut être vu :
Les avocats plaidant les mains dans les poches,
Ceux se promenant dans l’espace vide devant la barre,
Ceux qui, peu à peu, au courant de la plaidoirie, viennent s’accouder sur le bureau du Tribunal et faire la conversation,
Ceux dont les bras, implorant sans cesse le plafond, jaillissent de manches retombées,
Ceux qui pleurent et se frappent une poitrine sonore,
Ceux qui &Mac226;éparpillent leurs notes de plaidoirie et font courir les huissiers, à quatre pattes, après les feuilles volantes; ceux qui mugissent à grosses gouttes,
Ceux qui d’une voix trouble, développent d’interminables observations qui ne devraient durer que cinq minutes,
Ceux qui cinquante fois répètent : « C’est mon dernier mot »,
Ceux qui s’assimilent à leur client en criant : « Non, messieurs, nous n’avons pas trompé&Mac226; notre mari, nous sommes une honnête femme ! » ,
Ceux qui bredouillent,
Ceux qui bégayent,
Ceux qui glapissent,
Ceux qui ont toujours à la bouche cette brève formule . » Le raisonnement de mon adversaire est absurde »,
Ceux qui postillonnent en parlant,
Ceux qui sont poussifs,
Ceux qui s’interrompent pour cracher, soit discrètement dans le mouchoir, soit avec bruit, aux grandes distances, soit par terre ou sur leur souliers après avoir reniflé et remonté leurs cols.
MAXIME HALBRAND – « Le Palais de Justice de Paris » – Paris, 1892.
Comment dormir ?
Le temps des plaidoiries, c’est le temps du repos, au moins pour certains magistrats qui ont le sommeil facile. Mais que l’art de bien dormir à l’audience est d’une pratique malaisée !
Dormir manifestement, la bouche entrouverte, le souffle bruyant, la tête ballante, c’est indigne d’un magistrat, même à notre époque de nivellement. Il faut trouver des attitudes savantes pour dormir sous des apparences de mélancolie, ou de réflexion, ou d’attention soutenue :
Le front dans la main est une bonne pose, elle dénote une âme noble de penseur.
La tête dans les deux mains et les yeux fixes, ce n’est pas mal non plus, l’orateur peut croire qu’il a hypnotisé son sujet.
Dormir les yeux ouverts exige un certain exercice, la nuque fortement appuyée au dossier du fauteuil et des lunettes sur les yeux, voilà une disposition qui offre bien des avantages; elle est simple, naturelle, et ne permet pas de distinguer si vous êtes en état de sommeil ou de veille.
Il y a un danger: c’est que le corps ne glisse sur le bord du fauteuil; le juge disparaîtrait alors sous le bureau, ce qui ne serait pas convenable; mais les fauteuils en moleskine sont par bonheur très adhérents et jusqu’ici les accidents ont été rares.
On peut encore user des attitudes de sommeil effronté, comme les bras en rond et la tête dessus; cet excès de cynisme déconcerte le spectateur qui ne peut pas croire que vous dormiez aussi longtemps; clans ce cas, conservez la pose Si vous vous réveillez, c’est l’essentiel.
En somme toutes les attitudes sont bonnes, pourvu qu’elles soient stables et que le sommeil ne donne pas au corps une fâcheuse mobilité.
Il y a toujours au moins un magistrat qui écoute, le Président.
Quelquefois les trois se relayent.
Et les manières d’écouter sont aussi variées que les manières de dormir :
Tel Président prend imperturbablement des notes sans lever le nez, comme s’il était à la dictée,
tel autre regarde, avec une attention soutenue, les lèvres de l’avocat et fait, pour comprendre, de tels efforts que son visage s’empourpre et ses veines se tuméfient,
tel autre furète de l’œil, dans tous les coins de la salle et note par-ci, par-là, distraitement, quelque embryon d’argument,
tel sourit avec bienveillance à l’orateur, sans écouter un mot de la plaidoirie,
tel autre paraît suivre avec intérêt et fait des signes d’assentiment, qui n’entend rien mais hoche la tête, par tic,
tel s’impressionne au moindre mot, se jette sur son assesseur de droite pour lui faire part de ses observations, rebondit sur l’assesseur de gauche, discute à haute voix pendant les plaidoiries, griffonne dix jugements contradictoires sur la même affaire, demande des explications aux avocats, s’agite, hannetonne, se retourne sur son fauteuil comme sur un grill et quitte l’audience sans avoir une opinion,
tel autre se recroqueville sur son siège, écoute, immobile, l’exposé de l’affaire, se fait son opinion tout seul avant même l’exposé fini, et rédige son jugement avec sérénité pendant que le défenseur plaide,
tel se débat nonchalamment contre le sommeil jusqu’à ce qu’une formule claire l’ait frappé, il sursaute alors comme un gibier qui reçoit une balle et, consciencieusement, il travaille,
tel écrit sa correspondance ou signe des pièces en ayant l’air de rédiger le jugement;
tel interrompt l’avocat dès le premier mot pour mettre un peu de gaîté dans la discussion, et transforme les plaidoiries en dialogues de haute graisse,
tel interrompt aussi, mais fiévreusement, voulant savoir tout, tout de suite, et ne laissant pas le malheureux avocat prendre ses aises pour donner des explications complètes! Oh! celui- là est terrible! quand il a compris la thèse du demandeur, il n’a pas de repos avant que le défenseur ait répondu par oui ou par non a la question qu’il pose.
Les avocats ont bien aussi leurs excès de tempérament et leurs manies qui ne doivent pas toujours amuser le juge. Tout compte fait, c’est le juge qui a le moins de défense.
Quand le juge veut causer avec son voisin, l’avocat susceptible s’arrête net et le juge rougit, à moins qu’il ne suive l’exemple d’un Président qui, chaque fois que l’avocat lui faisait le coup de l’arrêt brusque pour le rappeler au silence, murmurait « La cause est entendue » et s’esquivait au petit trot avec ses assesseurs ou improvisait un jugement ex-abrupto.
Quand le juge interrompt trop souvent, l’avocat entasse la belle période de la liberté de la défense ou quitte la barre majestueusement, au grand ennui du juge qui n’aime pas à se créer des ennemis.
Pour les juges à sommeil léger, il y a des avocats terribles qui crient comme des sourds et frappent le plancher et tapent sur la barre à casser les vitres.
En Grèce, les avocats qui frappaient du pied étaient punis d’une amende.
A la bonne heure! En ce temps-là, on protégeait les magistrats!
Entendre des voix discordantes qui plaident, quatre et cinq heures de suite, voir des visages très vilains qui grimacent, des mains qui s’agitent et des corps qui se distorsionent, ce n’est pas toujours drôle!
MAXIME HALBRAND
« Le Palais de Justice de Paris »
Paris, 1892
Une vie
René Benjamin brosse à grands traits, la carrière d’un avocat. Un texte célèbre qui démystifie la carrière.
UNE VIE
A vingt-cinq ans, un jeune bomme arrive au barreau, la tête encore remuée par sa vie d’étudiant et, pour lui, le boulevard du Palais n’est que le prolongement du boulevard Saint Michel.
Il aborde sa profession comme si elle était une vocation. Grisé d’ambitions imprécises, ayant peut-être lu quelques plaidoiries d’ainés célébres, il prend la barre pour un tremplin. Il rêve de conquérir ce monde inconnu, mais bruyant, d’où, il le sait bien, les destinés politiques prennent leur essor. C’est d’ici qu’il va dire « Paris, à nous deux ! »
Et pour commencer, il se distrait aux joies puériles de la première robe et ne se lasse pas de s’entendre appeler » Maître » par les gardiens de prison. Au reste, pour lui, il n’est au Barreau qu’une place à prendre, une seule qui donne des joies vives, en procurant la célébrité et c’est aux assises qu’il ira porter ses premières admirations.
Il rêve d’un grand procès criminel. La salle est pleine à craquer. On fait la queue toute la matinée et l’on se bat aux portes. Les journaux, depuis un mois, annoncent l’affaire sensationnelle et, déjà par deux fois, ils ont publié la photographie de l’assassin et celle de son défenseur.
Les plus jolies femmes de Paris ont envahi le prétoire. Le Palais haletant est accouru, les journalistes se pressent sur leur banc. Le Président scrute et l’avocat général tonne. Mais c’est en vain, car soudain un grand silence se fait.
Il s’est levé, d’un geste il a balayé l’accusation, d’un mot cloué le Président sur son siège, d’un sanglot arraché des larmes aux jurés, et, dans l’émotion générale et un enthousiasme délirant emporté l’acquittement… Puis, il tombe épuisé, l’accusé reconnaissant l’embrasse, la foule trépigne.
Ou bien son imagination le porte vers un grand procès politique. Il est le défenseur de la liberté violée, du droit outragé. Dans le prétoire, sa parole retentit pour flageller le pouvoir. Alors la magistrature se terre. Le représentant du Ministère public s’écroule, la salle acclame le nouveau Brutus et, dans la rue, une foule énorme le porte en triomphe, cependant que le gouvernement épouvanté délibère… Et son nom vole de bouche en bouche.
Trente ans. Le jeune homme est devenu un homme jeune. En fait d’affaires sensationnelles, il n’a récolté jusqu’a présent que des affaires d’assistance judiciaire, dont la plupart concernaient d’obscurs accidents de travail et de mesquines escroqueries. Il a bien plaidé aux assises, mais la première fois, ça a été dans une affaire de faux-monnayeurs où il a figuré avec treize autres de ses confrères, et la seconde dans uneaffaire d’infanticide qui aurait peut-être fait quelque bruit si elle ne s’était déroulée à huis clos.
Il s’est présenté à la conférence, a cherché un patron, a reçu du hasard — le dieu de la profession, car tout vient de lui et retourne à lui – quelques causes modestes, et il réalise que le Barreau est une profession noble, libérale, et souvent émouvante sans doute, mais cette profession tout de même, est un peu encombrée.
Il a maintenant trente-cinq ans. Il ne rêve plus du tout des assises, de succès oratoires. a laissé son romantisme dans les plis de sa robe. Parlez-moi d’un bon cabinet d’affaires, sérieux, grave, bien achalandé, de quelques agréables divorces, de quelques bons procès en contrefaçon, de quelques solides instances au tribunal de commerce !
Cela n’est pas glorieux, ni très drôle, mais c’est d’un bon rendement! Allons, mettons les vieux rêves avec les vieilles lunes, et songeons désormais à ces sages audiences civiles, vers lesquelles on voit se diriger tous les jours les bâtonniers ployant sous le faix de leurs dossiers et annonçant glorieusement au Président qui s’enquiert de la durée probable de la plaidoirie:
- Toute l’audience, monsieur le Président !!!
Quarante ans. Les jours de nostalgie. L’avocat sourit mélancoliquement à ses ambitions passées et les juge bien naïves. En fait de gloire, peut-être que plus tard, dans dix ans une petite « indication » au Conseil de l’Ordre… Mais on verra; ne soyons pas trop impatient et surtout n’effrayons personne…
Quarante-cinq ans. Quoi, quarante-cinq ans, déjà! Mais oui, mon Dieu! Ah, qu’il est loin le jour où, sous les regards attendris de ses père et mère accourus, il avait noué maladroitement autour de son cou le premier rabat et d’une voix encore timide prononcé le serment solennel!… Et comme il se sent loin aussi hélas! de tous ces désirs qu’il avait orgueilleusement nourris! … Qu’importe, plaidons!
Plaidons d’ailleurs le moins possible. Car cet avocat qui ambitionnait autrefois de trouver en rentrant chez lui le salon plein de visiteurs et de plaideurs tous les jours, a découvert que la qualité des causes vaut mieux que leur quantité et que cinq grosses affaires dans une année seraient une habitude bien agréable…
Cinquante ans. Des cheveux gris. Les jours d’élection au Conseil de l’Ordre, il arrête au passage quelques confrères: » Des amis m’ont demandé de me présenter… Oh! Je ne désire qu’une petite indication.., pour l’année prochaine par exemple. »
C’est devenu chez lui une idée fixe. Il se voit membre du Conseil de l’Ordre, comme il se voyait vingt-cinq ans auparavant, grand avocat d’assises avec la même candeur touchante.
Il a un collaborateur. Son collaborateur est un jeune stagiaire qui fait avec ce patron ses premières armes : « A quoi rêvez-vous, mon enfant? » demande l’ancêtre.
L’enfant répond:
« D’être un grand avocat d’assises, de voir mon nom imprimé dans tous les journaux, voler sur toutes les bouches… « Pauvre garçon! dit mélancoliquement le patron.
Cinquante-cinq ans. Il vient d’échouer à nouveau aux élections. Décidément ses confrères ne veulent pas de lui. Que leur a-t-il donc fait? Les uns disent que c’est parce qu’il ne serre pas assez de mains. Les autres affirment qu’il n’a pas assez de talent. Mais la plupart prouvent par de nombreux exemples que cette objection n’a vraiment aucune valeur.
Et puis il meurt, à l’âge que vous voudrez, à l’âge où l’on meurt maintenant, c’est à dire entre soixante et soixante-cinq ans. Il meurt pas très riche, pas très connu, pas très heureux. La dame du vestiaire enlève de l’armoire le carton qui contenait sa toque et qui s’en va rejoindre les autres, au cimetière des cartons et des toques.
Et, à une audience, un avocat se présente à l’appel et dit : « Monsieur le Président, je demande une remise dans cette affaire : mon adversaire Maître X… vient de mourir. » « »Tiens, X est mort » murmurent ses confrères qui assistent à l’appel. « Maître X… est mort? « répète le Président d’une voix indifférente. » Alors, à quinzaine!… Monsieur l’huissier, appelez une autre affaire. »